Auteur: Dana Baran

Abstract: The first French university missions reached Romania during Alexander Ioan Cuza`s reign. In medicine, Dr. Charles Davila`s role was definitional. Franco-Romanian medical collaboration impressively increased after World War I, when in Bucharest a new French University Mission was initiated (1919), followed by the foundation of the French Institute of Advanced Studies in Romania (1924). While supporting the consolidation of Great Romania, these missions potentiated the development of Romanian medicine, mostly of French tradition in Moldova and Wallachia. The French medical school could now make its wider way also to Transylvania. Professor Émile Sergent, president of the National Academy of Medicine in Paris, was a prominent personality of these events. Nowadays, once again, bilateral university cooperation evolves constantly.

Keywords: French missions, medicine, Émile Sergent, Romania

 

Aux Portes de l’Orient

Redécouverte de la romanité européenne orientale et les missions médicales revolutionnaires

Les premières vraies influences francophones et francophiles en Pays Moldo-Valaques datent depuis le XVIII-ème siècle, dues à l’impact des phanariotes et des élites russes, présents dans les deux Principautés – de Moldavie, respectivement de Valachie. Mais ce fut le XIX-ème siècle qui a marqué la découverte de la romanité européenne orientale, donc de la gente latine danubienne, par la France, sa « soeur aînée ». Parallèlement aux idéaux révolutionnaires de 1789 et 1848, l’affirmation nationale et l’émancipation de l’intellectualité indigène s’articulaient avec conviction. Les missions universitaires françaises se firent jour avec les premiers professeurs de français arrivés dans les Principautés Danubiennes, pour s’intensifier durant le règne d’Alexandre Ioan Cuza (1859-1866) (Muresanu Ionescu, 2004 : 217-219).

Le modèle français dans la médecine roumaine

La naissance des écoles médicales supérieures roumaines s’est produite dans ce contexte, d’abord à Bucarest, en 1869, puis à Iasi, en 1879. Les figures saillantes de ces événements ont été des médecins roumains, anciens élèves des Facultés françaises, tel le Dr. Nicolas Kretzoulesco, figures dominées pourtant par le Dr. Charles (Carol) Davila (1828-1884), citoyen du monde, de France, d’Allemagne, d’Italie et des Principautés Roumaines, héro de la médecine autochtone, ayant fait sa préparation théorique et pratique de pharmacien à Nantes et de médecin à Angers (1843-1847), avant de passer sa thèse en médecine à Paris (1852). Davila avait développé depuis 1856 à Bucarest, alors capitale de la Valachie, l’École de Chirurgie (1856) et ensuite l’École Nationale de Médecine et Pharmacie (1857), transformée en 1869 en Faculté de Médecine (Daniel, 1934 : 25-26 ; Brătescu, 2006 : 219-223). Entre le 23 novembre 1857 et 1931/1933, ces diplômes furent reconnus en France et la Roumanie seule jouit de ce statut parmis les autres états étrangers; c’était « le privilège roumain »: dispense de scolarité et valabilité des titres roumains (Daniel, 1934 : 3-6 ; Ferté & Barrera, 2009 : 206). À Iasi, chef-lieu de la Moldavie, les démarches pour créer des écoles médicales, commencées dès 1851, ont pleinement abouti à établir la Faculté de Médecine de la première Université de Roumanie (1860) seulement en 1879, grâce aussi à l’appui du Dr. Davila et du Dr. Kretzoulesco, alors ministre de l’Instruction Publique. Le premier doyen de cette Faculté de Iasi, le Prof. Léon Scully, éminent chirurgien et anatomiste, avait étudié à Montpellier et Paris, alors que le fondateur de l’Institut d’Anatomie (1894), le Prof. Aristide Peride, avait soutenu son doctorat dans la capitale de la France où, avec quelques compagnons, avait même participé à la Commune de Paris. À Iasi Peride fréquentait les séances de l’Alliance Française (Dumas & Dumas, 2009). Le Musée de son singulier Institut, unique dans le sud-est européen, construit entre 1894-1900 sur un modèle français, étalait des pièces anatomiques réalisées en France, dont quelques unes ont survécu jusqu’à aujourd’hui. Un mur entier déploie encore la toile d’un peintre de l’Académie Julian, Louis Coquelet-Mereau, illustrant le Dr. Peride en train de se faire examiner par ses maîtres parisiens, les professeurs d’anatomie Philibert Sappey et Paul Poirier.

La fin du XIX-ème siècle et le début du XX-ème ont représenté le moment où la France élargissait les missions politiques étroitement associées à la dissémination de sa science et culture, étendant son influence vers l’Europe du sud-est. La Roumanie moderne doit beaucoup à la diplomatie française, qui a endossé ses efforts tant au cours des révolutions démocratiques de 1848 et de l’Union des Principautés en 1859, qu’au cours de la Grande Guerre de 1916-1918. Tant l’Empereur Napoléon III, en 1859, que le président du Conseil, le républicain convaincu Georges Clemenceau, en 1918, ont aidé les Roumains à accomplir leurs rêves d’unité et d’affirmation identitaires, de liberté, d’intégrité et d’indépendance nationales. Les documents de l’époque prouvent clairement cet enjeu (Dumas & Dumas, 2009).

 

Au coeur des conflits européens

La Grande Guerre et la mission médicale française en Roumanie

Fig.1
Iasi. Monument aux „victimes de leur dévouementˮ: le Dr. Jean Clunet (1878-1917), médecin-major I-ère classe; l`infirmière-major Geneviève Hennet de Goutel (1885-1917) et l`infirmière-major Alphonsine /Andrée Flips / Flippes (1886-1917) de la Société de Secours aux Blessés Militaires; soeur Antoinette Roux (1849-1917), religieuse des Filles de la Charité, infirmière volontaire.

Entrée en guerre le 20 août 1916 du côté des Alliés, la Roumanie semblait bientôt capituler, envahie par les Empires Centraux. La mission médicale française arrivée en Roumanie dès le 16 octobre 1916, conjointement à la mission militaire du légendaire Général Henri Mathias Berthelot, est bientôt devenue un repère moral et professionnel. Le corps médical français appliquait des méthodes nouvelles en assistant les blessés, les malades militaires et civils, en luttant contre les épidémies. Néanmoins, le typhus exanthématique fut fatal pour certains de ses membres, dont le fameux Dr. Pierre Édouard Jean Clunet. Reposant à jamais en terre roumaine à Iasi, sa personnalité a sans cesse conservé depuis l’aura du sacrifice exemplaire.(Fig.1) En janvier 1917, les médecins Alliés ont institué à Iasi La Société Médico-Chirurgicale du Front Russo-Roumain, présidée par deux prestigieux médecins roumains, un français et un russe, où le français était la langue officielle. Deux revues médicales furent même éditées en sept numéros: Comptes-rendus de la Société Médico-Chirurgicale du Front Russo-Roumain et Comptes-rendus des séances de la Réunion Médicale de la II-ème Armée (Daniel, 1934 : 25-26 ; Brătescu, 2006 : 219-223).

Fig. 2. William Vignal

Le médecin colonel Ernest Victor William Vignal (1882-1952) de la mission française, par exemple, a continué son activité jusqu`en 1922. (Fig.2) Il organisa le service de radiologie de l’Hôpital Central et l’enseignement de radiologie clinique à Iasi (Cornil, 1952). On lui créa auprès de la chaire de chirurgie du Prof. Amza Jianu une conférence de radiologie, confirmée le 15 novembre 1918. Ce premier cours libre n`était pas payé.

 

Vers une Europe Unie à la française

L’entre deux guerres et les missions françaises interuniversitaires

Le 1er décembre 1918, la Grande Roumanie prenait forme, s’avérant une réalité inébranlable, incorporant la Transylvanie, où l’on rencontrait une situation particulière: cette province se trouvait alors, selon le Quai d’Orsay, dans des circonstances historiques comparables à celles de l’Alsace et de la Lorraine au moment de leur retour dans le giron de la France. Les observations du représentant diplomatique de la France en Roumanie, le Comte de Saint-Aulaire, après son voyage en Transylvanie en automne 1919, confirmaient cette perception (Stan, 2010). Le jeune État roumain avait besoin d’un appui. Par conséquent, une Mission Universitaire Française en Roumanie fut mise en place. Le 15 juin 1919, avec le soutien du Dr. Constantin Angelesco (1869-1948), Ministre roumain de l’Instruction Publique, membre de l’Académie Nationale de Chirurgie de France, officier de la Légion d’Honneur, et du très distingué Prof. Lucien Poincaré, recteur de l’Université de Paris, on a signé une « Convention relative au recrutement, au statut et au traitement du personnel universitaire mis par le gouvernement français à la disposition du gouvernement roumain ». La Convention Angelescu-Poincaré établissait donc les conditions d’une assistance inter-académique. Parallèlement on structura une Mission Universitaire Française en Roumanie à caractère permanent (Stan, 2010). Un Institut Scientifique Franco-Roumain de Hautes Études – l’Institut Français de Hautes Études en Roumanie – fut ensuite créé en 1923 et inauguré le 29 mai 1924 à Bucarest. Président de l’institution fut élu le Prof. Ermil Pangrati, recteur de l’Université de Bucarest, bien connu mathématicien et architecte roumain, alors que secrétaire général en était le fameux géographe et historien français, membre d’honneur de l’Académie Roumaine, Emmanuel de Martonne, cartographe de la Grande Roumanie. Dans le cadre de la Mission Universitaire, subordonnée à l’Institut, des professeurs français et roumains se rendaient visite tour à tour, en Roumanie et en France, pour donner des conférences, échanger leur expérience, travailler ensemble (Sergent, 1926 ; Sergent, 1930: 39-56 ; Stan, 2010). De cette façon, la France contribuait à la consolidation du jeune État roumain, en renforçant la coopération médicale aussi. Le Prof. dr. Émile Sergent soulignait que:

« Les origines et le développement des relations médicales franco-roumaines ont également une autre cause qui réside dans l’analogie, presque la similitude, des programmes d’enseignement, ce qui ne saurait surprendre étant donné précisément que Carol Davila a institué à l’École de Chirurgie de Bucarest des programmes calques sur ceux dont il avait été le bénéficiaire en France. Le développement de ces relations se manifeste, d’autre part, par les échanges constants qui se font entre les professeurs et les élèves des deux pays, échanges qui ont trouvé leur expansion dans ces dernières années grâce à la création de l’Institut Franco – Roumain » (Sergent, 1930 : 39-56).

 

Émile Sergent, missionnaire médical en Roumanie

« L’origine et l’inspiration françaises de la médecine roumaine » sont indéniables, déclarait le Prof. Constatin Daniel (1876-1973), éminent et érudit chirurgien à Iasi (Jassy) et puis à Bucarest, passionné chroniqueur des relations médicales franco-roumaines (Daniel, 1934 : 3-6). Le Professseur Émile Sergent (1867-1943) a été une des personnalités qui, au début du XX-ème siècle, a concrétisé ces fortes liaisons franco-roumaines, tant professsionnelles, qu`affectives et culturelles, ayant déjà à l’époque une substantielle histoire, dont on retrouve des repères révélateurs dès le XIX-ème siècle. (Fig.3)

Fig. 3. Le Prof. Émile Sergent (1867-1943). 3. a. photographie publiée dans la version roumaine du volume Traité élémentaire d’exploration clinique médicale (1922) ; 3.b.caricature de Sergent parue dans le journal [La Roumanie Médicale], 1926, 9: 9 ; c. dédicace et autographe d`Émile Sergent lors d`une de ses visites à Bucarest:
« Comment un Français ne serait-il pas profondément ému par l`acceuil si cordial que lui réservent des collègues et amis Roumains. Le 8 février 1928 ».

Un des experts « missionnaires » invités par l’Institut Scientifique Franco-Roumain de Hautes Études de Bucarest (en fait, l’Institut Fançais de Hautes Études en Roumanie), le professeur et académicien français Émile Sergent, célèbre médecin et grand ami de la Roumanie, futur membre honoraire de l’Académie Roumaine (28 mai 1930) et de l’Académie Roumaine de Médecine, a également été professeur d`honneur de la Faculté de Médecine de Bucarest et docteur honoris causa de l’Université de Bucarest (Sergent, 1926; Sergent, 1930: 39-56). Le diplôme lui fut accordé par le Dr. Mina Minovici, éminent professeur de médecine légale. (Fig.4) En 1926, Sergent publia à Paris, tant dans la Presse Médicale (no.57/17 juillet 1926) que chez Masson et Cie, un texte intitulé Voyage de mission en Roumanie, où, en exprimant le vif sentiment patriotique et fraternel qui l’animait, il décrivait les impressions de son premier séjour dans les Carpates en avril 1926, quand il passa par Bucarest, Iasi et Cluj (Sergent, 1926). Selon son opinion avisée, l’histoire médicale franco-roumaine comprenait deux époques: « avant et depuis Davila » (Sergent, 1930: 39-56).

 

Visites de Sergent à Bucarest

Fig. 4. Émile Sergent (droite) et Mina Minovici (gauche), à Bucarest en 1926

Venu par la mer, accueilli en Dobroudja par un de ses élèves, le conférencier Dr. Emil Gheorghiu de Bucarest et des autorités sanitaires de Constantza, le Dr. Sergent a livré quatre conférences du 15 au 18 avril 1926, à la Faculté de Médecine de Bucarest. Il fut présenté au public par le Prof. Mina Minovici, doyen honoraire de la Faculté, un des pères de la médecine légale roumaine. Les discours de clôture furent prononcés par le Prof. George Marinesco, brillant disciple de Charcot et Brissaud, par le Prof. Ion Nanu Muscel, ancien externe des Hôpitaux de Paris (1887-1891), et par le président de l’Association des Étudiants en médecine (Sergent, 1926).

Très touché par le geste de ces derniers, le scientifique français soulignait dans ses mémoires que les étudiants avaient suspendu leur grève rien que pour prendre part à ses vrais cours magistraux.

En Valachie, Sergent a visité presque tous les hôpitaux de la Capitale, dont les services de l’Hôpital Brancovan – de médecine interne du Prof. Anibal Teohari, son ancien collègue d’internat à Paris et de chirurgie du Prof. Ernest Juvara, ancien externe des Hôpitaux de Paris, collaborateur du Prof. Paul Poirier et ami de Thoma Ionesco (Thomas Jonnesco) – et l’Hôpital-Sanatorium pour les tuberculeux de Filaret administré par le Dr. Stefan Irimesco, docteur en médecine attesté à Paris. Le Prof. Sergent a noté et loué l’intégration de l’Assistance Publique aux services offerts aux malades payants, un modèle qu’il pensait utile également pour le système français, socialement orienté plutôt à gauche, à la différence de ce qu’il constatait en Roumanie (Sergent, 1926). Autres cibles de son expertise missionaire ont été les Hôpitaux Colentina, Coltzea et Filantropia. L’Hôpital Colentina l’attendait pour d’intéressants débats, avec ses cliniques de neurologie du

Fig. 5. Constantin Daniel

Prof. Marinesco et de chirurgie expérimentale du conférencier Dr. Ion Jianu, alors que l’Hôpital Coltzea apprêtaient pour cette visite interactive la clinique médicale du Prof. Nanu Muscel – qui était en train de collecter des données sur la lymphogranulomatose tuberculeuse et nontuberculeuse – et la clinique dermatologique et syphiligraphique du Prof. Stefan Gh. Nicolau; à l’Hôpital Filantropia l’ambassadeur de la médecine française fut d’abord accueilli par les Prof. Dumitru Ionesco, interniste et pharmacologue, et Constantin Daniel, insigne chirurgien, le cadet de Sergent dans son internat des Hôpitaux de Paris, professeur d’obstétrique et gynécologie (Fig.5); il rencontra ensuite le Prof. Daniel Danielopoulou, renommé physiologiste, qui lui présenta sa clinique en pleine reconstruction, avec des laboratoires de physiologie et pathologie expérimentale bien outillés, dont le projet grandiose jeta le visiteur « dans un trouble profond, fait à la fois d’envie et d’admiration».

Suivirent l’Institut de Médecine Légale du Prof. Mina Minovici et l’Institut de Biologie et Médecine Expérimentale (actuellement encore l’Institut de Sérums et Vaccins) du Prof. Ion Cantacuzino (Jean Cantacuzène). Commandeur de la Légion d`Honneur, – « Français de Roumanie ou Roumain de France », aux dires de Sergent -, Cantacuzino était déjà le célèbre bactériologue disciple de Metchnicoff, fascinant par sa « merveille d’organisation », son « bel exemple à donner à tant de chefs d’Écoles » (Sergent, 1926).

À l’Hospice Central d’Aliénés, Sergent s’entretint avec le Prof. Alexandru Obregia et le conférencier de neurologie Emanuel Demetru Paulian. Le rendez-vous préparé à la Maison des Étudiants compléta son itinéraire bucarestois (Sergent, 1926).

 

Fig.6.b. Les « Cliniques Médicales » du Prof. Dr. Bacaloglu, livre publié à Iasi en 1929, préfacé par le Prof. dr. Sergent. Exemplaire autographe offert à la Bibliothèque de sa Clinique de Iasi, « là où j’ai travaillé tant d’années avec amour et dévouement à la science. (Janvier 1930) »

Visites de Sergent à Iasi

À Iasi, en Moldavie, au Prof. Sergent la bienvenue a été souhaitée par une délégation académique ayant à sa tête le Prof. George Bogdan, formé, lui aussi, à Paris, fondateur avec Minovici des études de médecine légale en Roumanie. Il a également joui de la chaleureuse hospitalité du Prof. Alexandru Slătineanu, recteur de l’Université, prodigieux bactériologue et proche collaborateur de Cantacuzino, qu’il avait rencontré pendant ses études médicales parisiennes. Sergent a fait deux conférences à Iasi, dont une au Cercle Lutetia (Centre Culturel Français), présidée par le professeur de médecine légale George Bogdan, et une autre à l’Université, présidée par le doyen de la Faculté de Médecine, le Prof. Constantin I. Parhon. Le savant français a visité l’Hôpital

Central „St. Spiridon”, où il passa d’excellents moments en compagnie de son ami et collègue, le professeur de clinique médicale Constantin Bacaloglu, et du Prof. Nicolae Hortolomei, cordonnateur du service chirurgical. La documentation sur place a continué à l’Hôpital pour Maladies Infectieuses, sous la direction du Prof. Mihai Ciucă, excellent bactériologue et malariologue, spécialisé dans le laboratoire de Jules Bordet, collaborateur apprécié des ses maîtres roumains, les Profs. Cantacuzino et Slătineanu, expert médical de la Ligue des Nations; fin d’itinéraire,

Fig.6.a. Constantin Bacaloglu (1871-1942)

les pavillons de l’Hôpital pour maladies nerveuses et mentales de Socola, furent parcourus en compagnie du Prof. C. I. Parhon, un des plus doués élèves et collaborateurs de Marinesco et directeur de l’Hospice de Socola, où il avait organisé un intéressant laboratoire d`investigations paracliniques et recherches expérimentales dans les domaines de la neurologie, la psychiatrie et l’endocrinologie, discipline dont il était un des pionniers mondiaux. Il avait d’ailleurs fit paraître à Paris, avec Moïse Goldstein, le tout premier traité complet d’endocrinologie jamais édité – Les sécrétions internes: pathologie et physiologie (Malloine, 1909).

 

Visites de Sergent à Cluj

À Cluj, au coeur de la Transylvanie, Émile Sergent a aussi eu un programme chargé: deux conférences médicales et des visites dans la cité universitaire multipavillionnaire, avec ses cliniques médicale du Prof. Iuliu Hatzieganu et chirurgicale du Prof. Iacob Jacobovici; son Institut de Physiologie du Prof. Ioan Nitzesco, ancien disciple du Prof. George Marinesco; son Institut de Chimie du professeur français Pierre Thomas, Institut d’Anatomie Pathologique du Prof. Titu Vassiliu, Institut de Médecine Légale du Prof. Nicolae Minovici, Institut d’Hygiène du Prof. Iuliu Moldovan et Asile d’Aliénés, admirablement dirigé par les Profs. Constantin Urechia et Ioan Minea, autre illustre élève du même George Marinesco. Pierre Thomas (1876-1963), un des professeurs français invités à l’Université de Cluj après la fondation de l’Université Ferdinand I de Cluj en 1919 (en langue roumaine), y ouvrit le 1er janvier 1922 le Département de Chimie Biologique, qu’il dirigea jusqu’en 1936; d’autres professeurs français invités furent: Jules Guiart (cours d’Histoire de la Médecine); René Jeannel (cours de Biologie); Yves Auger (cours de Français). Titu Vasiliu (1885-1961) avait obtenu la médaille d’honneur des épidémies conférée par la France à la fin de la I-ère Guerre Mondiale, alors que Constantin Urechia (1883-1955), membre de la Société de Neurologie, de la Société des Hôpitaux et de la Société Anatomique de Paris, était aussi membre du comité de direction des «Archives internationales de neurologie». Sergent a conclu sa mission médicale à Cluj en visitant l’Hôpital de Pédiatrie sous la direction du Prof. Titu Gane et la Maison des Étudiants, où il fut accompagné par le Prof. Hațieganu, celui qui avait donné le premier cours de Clinique Médicale en langue roumaine à la Faculté de Médecine de Cluj, en 1919. Le titre d’étudiant honoraire de la Faculté de Médecine de Cluj, accordé à Sergent par le président de l’Association des Étudiants en médecine de Cluj eut un particulier effet émotionnel sur l’hôte français. (Sergent, 1926) De plus, à son départ de Transylvanie, les jeunes universitaires lui ont fait don d’un étendard en soie, sur les faces duquel figuraient les armoiries des deux pays: la France et la Roumanie. De retour à Bucarest, à l’initiative du Prof. Petre P. Negulesco, Ministre de l’Instruction Publique, Émile Sergent fut reçu par le Roi Ferdinand, qui lui a conféré une haute distinction honorifique: cravate et plaque de grand officier de la Couronne, que Sergent a considérées comme un hommage rendu à la France. P. P. Negulesco lui-même avait entre autres signé une étude sur [La philosophie pratique. L’Esprit français], quand il était encore professeur de Logique, à l’Université de Iasi.

Le Prof. Sergent a repris son discours de 1926 sur l’histoire franco-roumaine de la médecine en 1929, après son deuxième voyage en Roumanie, effectué en février 1928, dans une conférence à la Sorbonne, qu’il a intitulée Les relations médicales franco-roumaines, entretien publié aux Éditions de la Revue Mondiale (Paris, 1930), ainsi que dans les Préfaces qu’il a rédigées au fil des années pours ses collègues roumains et, parfois, ses anciens apprentis. Parmi eux il y avait: le professeur de la clinique médicale de Iasi et de Bucarest, Constantin Bacaloglu, auteur du traité Cliniques Médicales (Iasi,1929), qui dans son Introduction rendait hommage à Laënnec, le remarquable René – Théophile – Marie – Hyacinthe Laënnec (1781-1826), médecin de l’Hôpital Necker à Paris, inventeur du sthétoscope et metteur au point du diagnostic médical par auscultation mediate, représenatnt éclatant de l’approche anatomo-clinique en médecine, « le grand homme », comme Sergent le définissait à son tour dans sa Préface: « Là encore nous sommes tous deux en communion étroite: Laënnec est notre Dieu! » (Fig.6); le Dr. Emil Gheorghiu de Bucarest, traducteur en roumain de plusieurs conférences sur la pathologie de l’appareil respiratoire et surtout la tuberculose, données par le Dr. Sergent dans la capitale roumaine (Bucarest,1926; 1928) et de son Traité élémentaire d’exploration clinique médicale: technique et séméiologie (Bucarest, 1922-1923) (Fig.7); le Dr. Priboianu, toujours de Bucarest, traducteur de l’ouvrage de Sergent sur Le diagnostic de la tuberculose pulmonaire de l’enfant et de l’adulte (Bucarest, 1939).

Fig. 7. Emil Gheorghiu (1881-1951)

Dans ses rapports missionnaires, le Prof. Sergent insistait sur la valeur de la médecine expérimentale et anatomo-clinique consacrée dans le monde par l’École française à son apogée, tout en observant les relatives carences des laboratoires et des instituts de recherche de son pays, qu’il trouvait insuffisamment aménagés, « moins brillants », à cause des problèmes financiers auxquels ils se confrontaient à cette époque-là. C’était ce génie clinique, d’après Sergent, « ce capital fixe » fait « de clarté et précision », qualités « incontestées des méthodes d’observation et d’enseignement clinique françaises » dont il faisait l`apologie, que la France devait partager, promouvoir sous l`égide, par exemple, du vénéré Laënnec, « maître universelet mondial, génial inspirateur des principes rigoureusement scientifiques qui doivent régler et diriger l’observation clinique ».

Sergent souhaitait le progrès de la médecine roumaine au nom « de tous les cliniciens de Roumanie et de France, de tous les anciens internes en médecine des Hôpitaux de Paris ». C`est à souligner, qu`à part ses contributions strictement scientifiques, Émile Sergent passait chaque fois en revue avec amabilité et enthousiasme les situations concrètes existant dans les villes universitaires médicales de Bucarest, Iasi et Cluj, les institutions visitées et les sentiments éprouvés en rencontrant ses confrères roumains, simples étudiants ou savants réputés.

Sous la responsabilité du Prof. Sergent, la Maison Éditrice Doin publiait la collection intitulée La Pratique médicale illustrée. Dans cette série, des professeurs roumains avaient également été acceptés pour faire paraître leurs travaux. Ces actions complétaient les initiatives de l’Association des Médecins Roumains de France, fondée à Paris le 7 novembre 1926 en tant que filiale de l’Association Générale des Médecins de Roumanie. Le 21 février 1930, cette filiale parisienne prit le nom plus explicit d’Association des Médecins Roumains pour des Études à Paris (i.e. en France), dont le but était d’assister les étudiants roumains en France, de plus en plus nombreux entre les deux Guerres Mondiales. D`ailleurs, à Paris il y avait aussi une Association Générale des Étudiants Roumains en France, qui fit publier, entre autres, les Quatre Conférences sur la Roumanie, dont une était celle de Sergent (Sergent, 1930 : 39-56). « Puissé-je vous avoir fait sentir quelle émotion c’est pour nous, médecins de France, d`avoir tous les jours autour de nous de jeunes médecins roumains qui sont si attachés à la vieille France, qu`ils comprennent, qu`ils aiment et qu`ils estiment, comme nous comprenons, comme nous aimons et comme nous estimons nous-mêmes la jeune et grande Roumanie! » C`était le voeu constamment exprimé par le Dr. Sergent. Les choses se passèrent pareillement lors de sa Conférence à la Sorbonne de 1929 sur la Roumanie, les étudiants et les jeunes médecins roumains de France (Sergent, 1930: 39-56). Sergent racontait fièrement qu’en souvenir et en l’honneur de son oeuvre et dévouement fidèle à la Roumanie – qu’il nommait son « pays d’adoption » – son portrait fut accroché au mur de la salle de Conseil de la Faculté de Médecine de Bucarest par le Prof. Mina Minovici et une rue près de cette Faculté reçut son nom, grâce au maire de la Capitale roumaine, le Dr. Ioan Costinesco.

 

Traditions et perspectives

Heureusement, ce modèle « de la communauté de langue, communauté d’esprit, communauté de coeur… » dont avait témoigné, entre autres, le Prof. Émile Sergent, continue d’exister depuis des siècles, dans un contexte que le chirurgien Jean-Louis Faure appelait « la médecine franco-roumaine » (Faure, 1933 : 253-257). En effet, selon le Prof. Constantin Daniel, membre correspondant de l’Académie Nationale de Chirurgie de France (1924) et officier de la Légion d’Honneur (1925), « les médecins ont au plus haut point contribué à la communion intellectuelle et spirituelle unissant depuis deux siècles les Roumains aux Français » (Daniel, 1934 : 25-26). Ce paradigme du métissage culturel se voit à présent repris, redimensionné. La fin de la guerre froide en 1989 a rouvert la voie à la « mondialisation » de l’Est européen, y compris aux missions scientifiques francofones renouvelées. Depuis 2010, l’Université de Médecine et Pharmacie (UMPh) « Grigore T. Popa » de Iasi offre, elle aussi, des programmes d’études en français, comme l’Université similaire de Cluj-Napoca le faisait depuis longtemps déjà. L’Agence Universitaire de la Francophonie-Bureau Europe Centrale et Orientale, impliquée dans ce processus depuis 1989, a vite inclus le réseau régional roumain, en prêtant appui à la création de Centres de Réussite Universitaire (CRU) en Roumanie, dont un à l’UMPh de Iasi, inauguré à la fin de 2014.

La globalisation et la régionalisation européenne imposent qu’à son tour la francophonie recherche les coordonnées de sa mission médicale d’aujourd’hui. On pourrait donc désormais plus aisément revaloriser la leçon de l’histoire, des autres missions médicales universitaires qui, dans le contexte du Centenaire de la fondation de la Grande Roumanie, mériterait d’être repensée et revalidée.

 Bibliographie

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